J’étais à Varanasi depuis plus d’une semaine, clouée au lit. Peut être était ce la pollution, l’intensité de la ville, la fatigue du voyage à moto depuis le Sud ou encore les cendres des crémations présentes dans l’air… Je ne saurais dire. Mais malgré mon nez pris et ma fièvre, l’ennui avait eu raison de moi et je m’était forcée à me lever pour prendre un thé dans la salle commune.


Alors que je fixais la fumée de mon breuvage chaud dans le blanc des yeux depuis plusieurs minutes, je l’ai vu arriver. Ou plutôt je l’ai entendue. Des roulettes à n’en plus finir, un fort accent australien et ce qui me semblait être des dizaines de breloques qui clinguent. Je lève les yeux et je la vois, Bel. Celle qui deviendra pour moi une des ces personnes qui ont marqué ma vie, qui laissent un souvenir impérissable et dont on peut presque se rappeler l’odeur, même après des années sans se voir.
Une vraie fée. De longues dreads remplies de plumes et de perles, mis à part un côté de sa tête qui restait vierge et tondu de près. Une jupe longue, un top en crochet et des bijoux de partout. Je l’aimais déjà.
Nous nous sommes retrouvées dans le même dortoir et quand je l’ai vu déballer ses affaires, mon amour pour elle était définitif. Deux valises, un énorme sac à dos plus un autre petit. Mais qu’est ce qu’elle peux bien trimbaler la dedans ?
Une scène à la Mary Poppins se déroulait devant mes yeux. Des guirlandes lumineuses, des tissus bariolés, des crèmes, de l’encens, des huiles, des perles, des carnets… Bref une vraie petite maison sur roues. Après presque une heure de remue ménage, son espace (le bas d’un lit superposé) ressemblait à une vraie caverne d’Ali Baba. Le dortoir était transformé. On était comme à la maison.
Elle me dira plus tard qu’elle se fiche bien du poids ou de l’encombrement. Elle aime créer des ambiances, elle aime se mettre, elle et les autres, à l’aise. Et ça passe par toutes ces petites choses. Des détails pour certains, mais qui pour elle rendent le voyage tellement plus agréable, surtout quand tu n’as pas d’espace à toi.
Nous sommes devenues amies immédiatement. Elle aurait presque pu être ma mère, dans les 45 ans, mais je la considérait comme ma grande soeur. Nous avons passé presque un mois dans cet hostel, pendant la mousson. Celleux qui en ont déjà fait l’expérience savent comme le temps peut être long. Mais pas avec elle, pas ensemble.
Un soir, nous avons eu une conversation plus profonde que d’habitude. C’était un de mes derniers jours à Varanasi avant de prendre le bus pour le Népal sur un coup de tête, j’étais très émue, nostalgique et surtout mes peurs et mes insécurités commençaient à prendre le dessus. Si seulement j’avais su ce qui m’attendait…
Moi une de mes plus grande insécurité dans la vie c’est de ne pas trouver ma place. Je me sens toujours trop ou pas assez, bizarre, les situations sociales sont bien souvent une source de malaise intérieur (même si je masque ça très bien), j’ai l’impression d’être née incomprise et puis surtout, surtout, je n’ai jamais eu la sensation d’avoir un truc bien à moi. Je me souviens, petite, regarder des reportages sur des gens avec des vies que j’enviais. Des écrivains, des danseurs, des archéologues… Et tous de dire “Ah moi j’ai toujours su. Depuis enfant je savais que je voulais être. C’est une vocation”.
À la fin du reportage, neuf chance sur dix que je me lève du canapé avec une assurance folle en proclamant “Ca y’est ! Je sais ce que je veux faire, je veux être insérer n’importe quel métier !”
Et j’y croyais dur comme fer. Jusqu’à ce qu’au bout de deux semaines j’entende parler d’un autre parcours de vie fascinant et que je sois sure, absolument sure cette fois que la reconnaissance que j’attendais se trouverai sur une scène de théâtre ou un bloc opératoire. Moi de toute manière, tout m’intéresse pour peu que ce soit raconté avec passion. On était pas sorti de l’auberge.
J’ai donc eu cette étiquette de girouette collée sur le front très tôt et ce n’est pas allé en s’arrangeant. “Elle à tellement de potentiel, c’est dommage qu’elle ne s’investisse pas a fond”, “Tu ne finis jamais ce que tu as commencé”, “De toute manière tu changes d’avis comme de chemise”, “On fait une chose et on le fait bien ou alors on ne le fait pas”. Toutes ces phrases imprimées dans mon subconscient mon programmée à croire que je n’avais pas de don. Rien de spécial en quelque sorte et que, de toute manière, je n’avais pas les capacités pour réussir quoi que ce soit.
Voilà ce que je me met à expliquer à Bel entre deux sanglots, assise sur ce rooftop en Inde. Je lui dit à quel point c’est dur pour moi de garder un travail, à quel point je me lasse vite des choses et que mes centres d’interêts changent tout les six mois même si sur le moment j’y met toute mon énergie et je peux passer des jours à ne faire que ça.
Elle m’écoute attentivement, puis me sort “Oh yeah, you’re a jack of all trades but a master of none”. Je reste bouche bée. En plus elle me dit ça avec l’accent Australien, j’ai rien compris.
Elle m’explique.
Oui je suis une touche à tout, mais maître de rien. Merci Bel, c’est bien ce que je dis.
Mais elle me reprend et me dit qu’en réalité elle trouve que c’est une bonne chose!
Alors là, je suis curieuse d’écouter ça.
La conversation qui à suivi est restée gravée dans ma mémoire et le sera probablement jusqu’à la fin de mes jours. Je me rappelle les mots de Bel dès que je me sens insignifiante, quand je doute, quand je change d’avis, quand je pars dans tous les sens ou quand je me compare. J’ai les larmes aux yeux juste en y pensant car c’était la première fois de ma vie que j’arrivais à voir ce qui était à ce moment là ma plus grande insécurité comme une force. Probablement ma plus grande force.
À ce jour, elle n’en a probablement aucune idée, mais ses mots m’ont soignée. Ces simples mots prononcés un soir de mousson sur un rooftop indien sont la chose la plus gentille qu’ont m’ai jamais dite. Il faut d’ailleurs que je lui dise.
Je vous laisse ici avec les mots de Bel. Si vous vous êtes reconnu(e)s dans ces difficultés qui sont miennes, je SAIS que vous y trouverez du réconfort.
“ Il y’a quelque chose de magnifique à ne pas avoir une voie toute tracée. Tu es curieuse, tu t’intéresses, tu à gardé tes yeux d’enfants et c’est précieux. Ne laisse jamais personne t’enlever ça ou te faire croire que changer de direction est une faiblesse.
N’être le maître de rien c’est ce laisser de la place pour apprendre, c’est être assez humble pour savoir qu’on ne sait rien et pourtant en vouloir encore. Et puis merde, c’est quand on croit avoir tout vu qu’on devient con non ? ”
Merci Bel.
C’est un réel plaisir et beaucoup d’émotion de t’écouter parler de toi avec autant de sensibilité et d’honnêteté. Je fais partie de ceux qui ont toujours su ce qu’ils voulaient faire, mais qui pensent la même chose que Bel à ton sujet. Ça ressemble aussi au questionnement de Morgane 😉
Nous sommes tous différents et s’accepter sans s’arrêter est une étape.
Je suis vraiment sincère quand je te dis que j’admire ta sensibilité et ta capacité à la transcrire en mots. C’est tellement profond … Ne change pas, continue de creuser, d’avancer, et de t’émerveiller grâce à ta curiosité. ❤️❤️❤️
Ce n’est pas sur le rooftop d’un hôtel indien mais du fond de ma douche d’un appartement du sud de la France que j’écoute tes mots, et là, sous l’eau brûlante de la douche les larmes. Ou plutôt le flot des larmes.
Tes mots font echo, si loin, si profondément dans ma chair, dans mon cœur, dans mon âme. Je suis bouleversée, renversée, et à la fois libérée, même un peu joyeuse.
J’écoute une seconde fois, encore, je vois la scène en fermant les yeux, j’entends les clochettes, et surtout je ressens les mêmes émotions que toi. Je pourrais être celle qui regarde Bel avec fascination et amusement, celle qui pleure à l’écoute de ses paroles si bienveillantes.
Moi aussi j’sais rien faire perdurer, je change de travail tous les deux ans, j’ai déménagé 10 fois en 15 ans, je me lasse vite mais je me passionne d’un rien. Je commence et puis j’arrête, mais toujours avec le même engouement, la même certitude que cette fois je tiens un truc…
Et puis non.
Alors j’explore. Voilà ce que je fais, j’explore mes terres, mon territoire intérieur, je m’éparpille, mais au fond si je réfléchis, si je laisse parler mon cœur je crois que j’aime ça. Et puis de toutes façons je ne sais pas faire autrement.
Et je ne sais pour quelle raison je pense à tes « collecting echoes » à ces précieux objets que tu glanes, à ces installations éphémères, à cette manière de créer du beau avec « rien ». Ou avec ce qui semble être rien. Car c’est peut être ça : faire avec ce qu’on a, avec ce que l’on trouve, et donc ce que l’on est, faire avec ce que l’on voit que d’autres ne voient pas ou n’envisagent pas comme pouvant être source de beauté visuelle. Nous sommes ces pierres, ces feuilles, ces fleurs disséminées ça et là, qui, une fois rassemblées créent un espace singulier, apaisant, impactant. Fragile et puissant à la fois.
Mais surtout éphémères.
Touche à tout mais maître de rien
Touche à tout mais maître du beau.
Touche à tout ET libre.
Touche à tout ET en constante évolution.
Merci Estelle pour ton partage.
Je garde près de moi ce moment qui assurément aura la même résonance dans le temps que celui que Bel a dans ton cœur.